Objectif Cervin
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Avril 2003. Lors de mon stage de printemps à Saint-Auban (Alpes de Haute-Provence), j’ai pu voler pour la première fois jusqu’au massif du Mont Blanc en Ventus 2C et plus précisément jusqu’à l’Aiguille du midi. En juillet, il me faut faire mieux.
Le vendredi 4 juillet 2003, lors du briefing, le météorologue annonce qu’après le passage d’un talhweg, un anticyclone se met en place et, qu’avec la subsidence, l’instabilité diminue. Les ascendances devraient être des « thermiques purs ».
Malgré cette prévision, je prends ma décision : je vais tenter un aller-retour Saint-Auban / Zermatt (516 km) en LS6 17,5 m en passant par le Cervin.
Outre mes cartes françaises et mon livre des champs vachables, j’emporte la carte aéronautique de la Suisse au 1 : 300.000. Compte tenu des plafonds prévisibles, j’emporte également mon installation d’oxygène.
Dès le décollage à 12 heures 45’, les prévisions se confirment : tempête de ciel bleu sur les Alpes de Haute Provence.
Sur la première colline toute proche, la Vaumase, les conditions sont peu engageantes avec un plafond à 1.700 m (QNH, bien sûr soit 1.200 m/sol) et une Vz moyenne de 2 m/s. A cette altitude, je quitte cette montagne en direction de la Bigue où j’atteins 2.000 m.
Il faut avancer et je poursuis donc vers les crêtes de Liman. Alors que le vent au sol à Saint-Auban était du Nord-Est, la dérive m’indique qu’à cet endroit le vent est au Nord-Ouest ce qui me permet de profiter à la fois de l’ensoleillement du côté Ouest et de l’effet dynamique du vent.
Je suis les crêtes jusqu’au sommet du Blayeul où un vario de 3-4 m/s me propulse jusqu’à 3.500 m. Cela promet !
Cette altitude confortable et la nécessité d’aller vite me font prendre la décision de filer directement jusqu’au Guillaume que j’atteins à 2.400 m. et où je remonte jusqu’à
3.400 m avec encore un excellent vario.
Grâce à quelques tours de spirale, je progresse en conservant cette altitude en passant par le Mourre Froid et ensuite la Tête de Vautisse. Depuis le Blayeul, je transite à 160-170 km/h.
C’est alors que les prévisions météo du matin sont démenties : un petit cumulus apparaît. Heureusement, les prévisionnistes se trompent aussi dans le bon sens.
A ma droite, au fond de la vallée de la Durance, je découvre l’aérodrome de Saint-Crépin : à l’altitude où je me trouve, je risque peu d’en avoir besoin à brève échéance.
La traversée de cette vallée m’amène au pic du Haut Mouriare et ensuite au Grand Peghu, toujours à la même altitude réconfortante de 3.400 m.
Poursuivant vers le Nord, je passe à la verticale de la pente de Plampinet et ensuite à l’Est de la Vallée Etroite où un cumulus accueillant matérialise une ascendance qui, avec un vario de 3-4 m/s, me monte à 3.800 m. Cette altitude me permet d’aborder le Col d’Etache (2.799 m) sans difficulités et me voilà dans la vallée de la Maurienne.
C’est alors que je branche l’oxygène qui m’évitera au moins l’habituelle fatigue du lendemain qui suit les vols en altitude.
Les choses sérieuses commencent car le cordon ombilical avec la rassurante vallée de la Durance est maintenant coupé.
Avec un regard sur l’aérodrome de Sollières, je chemine sur les crêtes qui forment la frontière avec l’Italie. Curieuse frontière qui, pour une fois, suit une ligne géologique et semble ainsi n’avoir pas été imposée par l’homme.
Ici plus qu’ailleurs et en continuant à cheminer vers le Nord-Est, le paysage est devenu totalement minéral et d’allure peu rassurante sauf pour un planeur qui se complait à proximité du relief entre 3.400 et 3.600 m. Mais à côté des crêtes qui rendent aisé le cheminement, le versant italien paraît hostile avec ses nuages bas – tout est relatif puisqu’ils culminent à près de 3.200 m – et il faut impérativement l’éviter à peine de plonger dans les brumes italiennes pour un vol qui se terminerait à Turin et un long dépannage à la clef.
Le passage du col du Carro (3.125 m) se fait en sécurité à 3.400 m grâce à l’altitude conservée sur les crêtes limitrophes de la France et de l’Italie. Le passage de ce col m’amène dans le Val de Rhêmes.
Je salue le Grand Paradis à vingt kilomètres à l’Est, et je bénis le relief du Val de Rhêmes orienté Sud-Nord qui me permet d’atteindre Aoste en cheminant tranquillement au-dessus des crêtes où, dans une ascendance bien matérialisée, j’atteins 4.000 m avec une poussée de vario à 7 m/s. Je traverse ainsi en sécurité la Vallée d’Aoste en survolant l’aérodrome de cette ville pour, plus au Nord, retrouver à 3.000 m une nouvelle ligne de crêtes où, en quelques tours de spirale, je remonte à 3.800 m.
En approche vers le Cervin
Il est enfin là devant moi, majestueuse pyramide : à 15 heures 45’, après trois heures de vol, je passe le col situé entre la Dent d’Herens et le Cervin.
Je serre la paroi de si près que la masse granitique du Cervin est presque palpable. Cette montagne, visible de loin, est fascinante par sa hauteur (4.478 m) tout autant que par sa forme pyramidale et son isolement qui la font ressortir dans le paysage alpin.
Frôler le Cervin
Pendant 30 minutes, je profite d’une vue époustouflante entre 4.000 et 4.300 m. Après avoir survolé Zermatt, je pousse une pointe jusqu'au Mont Rose : j’en ai plein les yeux d’un spectacle féerique et je suis rempli de l’émotion de ce rêve accompli. J’annonce ma position et mon altitude à la radio conscient toutefois que, ce jour-là, je serai entendu par peu de pilotes de Saint-Auban.
Mais le temps passe et, à 4 heures 15’, je prends la décision du retour en pensant à boire et à me sustenter. C’est d’ailleurs l’heure du goûter et quelques biscuits sucrés et vitaminés sont des dopants autorisés.
Le retour est déroutant : le soleil qui commence à décliner aveugle le pilote et les montagnes vues « à l’envers » ont une toute autre allure. Ne pas se tromper dans la navigation prend toute son importance mais, en définitive, tout se passe bien grâce aux plafonds qui se maintiennent aux alentours de 3.800 m.
Lors de ce retour, mon regard se porte vers le Mont Blanc, les Grandes Jorasses, la Testa del Rutor et la Grande Sassière : quelle page de géographie plus passionnante que l’apprentissage des cours d’eau de Belgique dans un atlas d’école primaire.
Sur le trajet du retour, je retrouve les ascendances à peu près aux mêmes endroits qu’à l’aller. C’est un des avantages du vol à voile en montagne : les conditions de déclenchement des ascendances sont plus homogènes qu’en plaine. Malgré ceci, la rentrée dans la vallée de la Maurienne à la hauteur du col du Carro se fait dans des conditions un peu moins favorables qu’à l’aller et je me retrouve à 2.800 mètres. Mais les pompes de service restent actives et, à la pointe de Charbonnelle, je remonte à 3.800 m avec un vario à 5 m/s.
Je repasse le col d’Etache et me dirige vers les Massifs des Ecrins où, à la tête d’Amont, je remonte à 4.000 m dans du 4 m/s. A cette altitude, je suis en local de Saint-Auban où j’arrive à près de 800 m au-dessus du plan après un plané serein de près de 80 km. Je me pose à 18 heures 45’ après 5 heures 50’, heureux faut-il le dire du doublé réalisé en 2003 et de ce vol en particulier.
Retour par le massif des Ecrins
Alors, est-il facile d’aller au Cervin ? J’ose une réponse de Normand : oui et non.
Oui, grâce aux bonnes conditions de l’été sans lesquelles ce vol serait impossible. Non, car pareil vol implique de vaincre les appréhensions de la haute montagne et le passage des hautes vallées inconnues à plus de 250 km du point de départ.
Après plusieurs années de vol en montagne, d’entraînement et de persévérance, j’ai réalisé un vol de rêve. Mais les rêves sont infinis et d’autres vols m’attendent.
En partant plus tôt, en volant mieux et surtout plus vite, d’autres massifs peuvent être atteints au départ de Saint-Auban. Vivement l’été 2004 !
Philippe EVRARD